Parmi tous les
dons qu'Aelred a donné à l'Eglise, le plus unique
est sa joyeuse affirmation que nous nous rapprochons de Dieu dans
et à travers nos relations avec les autres, et non sans ou
malgré eux. Il est important de rappeler aussi qui étaient
ces individus particuliers, dont l'amour enseigna à Aelred
l'amour de Dieu. Aelred lui-même dit avoir perdu la tête
pour un garçon puis un autre pendant qu'il fréquentait
l'école. Il fut un homme aux passions fortes, qui parlait
ouvertement des hommes pour lesquels il avait des attachements érotiques.
Après la mort d'un moine qu'il aimait visiblement, il écrivit:
"Le
seul qui pourrait ne pas s'étonner de voir Aelred vivre sans
Simon serait quelqu'un qui ignorait combien il fut plaisant pour
nous de passer notre vie ensemble sur la terre; quelle joie nous
aurions eu à aller au ciel dans la compagnie l'un de l'autre...Aussi,
pleure, non parce que Simon a été élevé
au ciel, mais parce que Aelred est resté sur terre, seul."
L'amitié
qu'Aelred décrivait de manière si éloquente
est résumée dans ce passage:
"Ce
n'est pas une maigre consolation d'avoir dans cette vie quelqu'un
à qui vous pouvez vous unir dans une affection intime et
l'embrassement d'un saint amour, quelqu'un en qui votre esprit peut
se reposer, en qui vous pouvez déverser votre âme,
dont les échanges plaisants, tout comme les chants agréables,
peuvent vous conduire au chagrin...dont les baisers spirituels,
tel un baume bienfaisant, peuvent vous soulager de la fatigue dues
à votre perpétuelle anxiété. Un homme
qui peut verser avec vous des larmes quand vous avez des soucis,
être heureux avec vous quand tout va bien, chercher avec vous
les réponses à vos problèmes, avec qui les
liens de charité peuvent vous conduire aux profondeurs de
votre coeur;...où la douceur de l'Esprit s'écoule
entre vous, où vous vous unissez si fortement à vous
mêmes et vous attachez à lui que l'âme se confond
avec l'âme et que les deux deviennent une."
Prière pour la fête de St Aelred, le 12 janvier
"Comble
nos coeurs, Seigneur, du don d'amour de ton Esprit Saint, afin que
nous puissions, lorsque nous nous serrons les mains, partager la
joie de l'amitié, humaine et divine, et que nous puissions,
avec ton serviteur Aelred, en amener beaucoup dans ta communauté
d'amour; par Jésus Christ notre Seigneur, qui vit et règne
avec Toi dans l'unité du Saint Esprit, maintenant et pour
toujours. Amen"
Extrait de "l'Amitié spirituelle" de saint Aelred
(1110-1167)
Dialogue
d’un Abbé avec un de ses Frères sur l'amitié
en communauté
Ælred
- L’amitié est cette vertu qui lie les âmes par
une douce alliance de prédilection et, de plusieurs, ne fait
qu’un. Voilà pourquoi l’amitié n’est
pas un sentiment fortuit ou éphémère, mais
bien éternelle. « Il aime en tout temps, celui qui
est ami. » (Pro. 17,17) Si elle vient à cesser, c’est
qu’elle n’était pas véritable.
Un
chrétien ne doit jamais désespérer d’acquérir
une vertu, si haute soit-elle, alors que Jésus dit : «
Demandez et vous recevrez ». (Jn 16, 24)
La
charité embrasse tous les humains.
Ælred
- Sans amis, il n’est pas de vie agréable ! Tu t’estimerais
d’autant plus heureux que tu posséderais un plus grand
nombre d’amis. Tel est cet admirable et immense bonheur que
nous attendons !
Il
en est beaucoup qui, en ce monde, ne connaissent d’autre bien
que ce qui leur rapporte sur le plan temporel, ils aiment leurs
amis à la façon dont ils sont attachés à
leurs bœufs, de qui ils espèrent tirer quelque avantage,
ils ne pratiquent certes pas l’amitié authentique et
spirituelle, qui ne doit se rechercher qu’en elle-même,
pour Dieu et pour elle-même et ils n’aperçoivent
pas en eux le modèle naturel de l’amour, d’où
il est aisé de déceler de quelle qualité et
de quel poids est son efficacité. Notre Seigneur et Sauveur
nous traça lui-même l’image de la véritable
amitié en disant : « Tu aimeras ton prochain comme
toi-même. » Voilà le modèle ! Tu t’aimes
toi-même, oui sans doute, si tu aimes Dieu, si tu es tel qu’on
puisse te prendre pour ami. Penses-tu devoir exiger de toi-même
quelque rétribution pour cet amour que tu te portes ? Du
tout, car il est naturel que l’on soit cher à soi-même.
Si donc tu ne reportes pas cette affection sur un autre, il ne pourra
t’être cher au point où tu l’es à
toi-même, car celui que tu distingues, ne sera comme un autre
toi-même, que lorsque tu auras versé en lui cet amour
que tu te portes. « L’amitié, dit saint Ambroise,
n’est pas un commerce, elle est tout honneur, toute gracieuseté.
C’est une vertu, non un trafic, elle ne naît pas de
l’argent, mais du charme, non d’une mise aux enchères,
mais d’un concert de bienveillance. »
Certaines
gens veulent trouver dans leur ami toutes les qualités qu’ils
leur manquent. Ils supportent impatiemment les fautes les plus légères,
ils reprennent sévèrement, par manque de jugement,
ils négligent l’important, s’élèvent
contre des vétilles, mêlent tout sans égard,
n’observent ni lieux, ni temps, ni personnes, c’est-à-dire
où, quand, devant qui il convient de parler ou de se taire.
Ælred
- Crois-tu qu’il se trouve un mortel qui ne veille pas être
aimé ?
Gautier
- Je ne le pense pas.
Ælred - Si tu voyais quelqu’un vivre au milieu d’une
foule de gens qui lui seraient tous suspects, qu’il devrait
redouter comme prêts à attenter à sa vie, parmi
lesquels il ne pourrait aimer personne et parmi lesquels il ne découvrirait
personne qui l’aimât, ne jugerais-tu pas son sort très
misérable ?
Gautier
- Très misérable, évidemment.
Ælred
- Donc, tu ne le nierais pas, c’est au contraire un très
grand bonheur que de se reposer dans le sein de ceux avec qui l’on
vit, d’aimer tout le monde et d’être aimé
de tous, sans être attaché à cette très
suave tranquillité par les soupçons qui divisent ou
la crainte qui bouleverse.
Gautier
- C’est très juste.
Ælred
- Quoi ? Si, d’aventure, il est très difficile de trouver
ce bonheur réalisé chez tous dans la vie présente
- l’avenir nous le garde en réserve - plus il en est
qui nous le donnent, plus nous devrons nous estimer heureux. Je
me promenais avant-hier dans le cloître du monastère
; assis au milieu du cercle de mes Frères très aimés,
j’admirais, comme en un paradis de délices, le feuillage,
les fleurs et les fruits de chacun des arbres du jardin ; dans le
nombre de ceux qui m’entouraient, je n’en trouvais pas
que je n’aimasse ni de qui je ne me crusse aimé ; la
joie qui m’inondait était si grande qu’elle l’emportait
sur tous les plaisirs de ce monde. J’avais l’impression
que mon esprit se transfusait en eux tous et que leur affection
à tous se concentrait sur moi ; aussi m’écriais-je
avec le psalmiste : « Ah ! Qu’il est bon, qu’il
est doux d’habiter ensemble comme des Frères ».
L’Amitié
spirituelle, Ælred de Rievaulx, traduction J. Dubois, 1948
Le
texte complet a été édité aux Éditions
de Bellefontaine, n° 30.
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